Retour à l’accueil

« Avant-propos» aux Lettres du chemin de pierre

(avec Michel Valensi)

Les Lettres du chemin de pierre ont été écrites au cours du printemps 2020, dans une île de la Méditerranée, sur un plateau battu par les vents, pendant le contenimento qui, en italien, signifie une « retenue », un « frein », mais aussi un « se tenir ensemble », à la différence du confinement français qui évoque des « limites » qu’il ne faut pas dépasser.

Elles ont été échangées d’une maison à l’autre à distance de quelques centaines de mètres que l’on parcourt sur un chemin de pierre. Tout autour: la macchia, le « maquis » hostile, où diverses sortes de chardons, des genêts aux épines acérées comme des javelots, lentisques, cistes, olivastri et perastri sauvages, poussent entre d’énormes blocs de pierre où veillent les chouettes et sur un terrain de basalte où l’hypothèse d’un potager devrait se travailler au marteau-piqueur. L’idée de cette correspondance nous est venue après plus d’une année passée à l’écart de bien des choses, bonnes et mauvaises, ne serait-ce que pour concentrer notre attention sur les souvenirs et les amitiés lointaines, que nous avons emportés avec nous et qui nous accompagneront encore tout le temps, que nous espérons long, de ce contenimento volontaire, et qui nous a semblé le frein d’urgence indispensable à l’usage que nous pensions faire de la vie, de nos vies. Les événements nous ont rejoints, malgré nous, dans cet isolement et l’ont rendu contraint, forcé, obligatoire, si bien que les lettres ont pris aussi un autre tour, sans pour autant nous détourner de notre projet de départ.

Rassembler ses intuitions, livres, musiques, saveurs, parfums, amours, amitiés, et recommencer dans un ordre différent jusqu’à épuisement du puzzle peut s’avérer une sorte d’extase. Et elle nous enseigne, cette extase, que l’instant est déjà une remémoration, que nous sommes des errants entre des mondes contraires et qu’entre ces alvéoles de mondes, nous sommes juste des passeurs.

Nous passons. C’est-à-dire que nous suivons nos pas, que nous arpentons un espace infime en nous: notre mémoire quantique. Nous sommes des piétons de la mémoire, refusant qu’elle soit, comme le voulait Cicéron, un édifice, une maison. Nos mémoires sont nomades, nos mémoires sont spiraliques et bredouillantes, leurs empreintes sont d’un parcours très compliqué. Se souvenir, relire, repasser sans relâche sur nos vissutezze, mot impossible à traduire, qui signifie du vivant et du rien, du terre à terre et du merveilleux, la vie qui se vit et ne se rend pas. C’est notre tâche. Des pattes de mouche, des coups de pinceaux d’illusions, des caresses, des coups du sort, des allées et venues entre des écarts infimes, des erreurs, des joies, des retours et un jour: arrêt sur image. Silence, on y retourne. C’est peut-être ça l’immédiateté? Un passé tout neuf. Restauré.